Kitsch ? Ou encore kich ou kitch ? Le terme ne sonne pas chic. C’est peut-être pour cette raison que personne ne revendique son origine. Elle serait allemande, provenant du verbe verkitschen : « brader », « vendre en dessous du prix » ou de kitschen : « rénover, revendre du vieux », d’abord « ramasser des déchets dans la rue »… Rien de très noble dans cette étymologie. Les sens plus récents ne redoreront pas son blason. Mauvais goût imbécile, démodé. « C’est kitsch », se dit avec toute l’ironie du monde dans le regard. Et pourtant le terme va prendre de l’envergure. C’est avec la révolution industrielle que le kitsch développe tout son sens. Il désigne, à la fin du XIXe siècle, toute cette production marquée d’une « pseudo » ambition artistique, du bon marché qui veut faire « classe ». Ce kitsch, c’est encore cette masse surabondante d’objets plus ou moins ratés, insignifiants, qui n’ajoutent rien, qui peuvent disparaître sans qu’on s’en aperçoive. A la fin du XXe siècle, le kitsch est assimilé à la culture du toc, l’imitation, le contrefait, la grande série par opposition au chic, à l’original, la pièce unique. Qui n’a pas l’original se paye la contrefaçon au rabais.

Et pourtant le nain de jardin sur un appui de fenêtre, le canevas « scène de chasse », ou la façade surchargée de décorations de noël, voilà qui m’a toujours questionnée et séduite. Pourquoi cette attirance à son endroit ? Quel mystère se cache derrière cela ? Je ressens le kitsch comme une enveloppe protectrice, une deuxième peau, un entre-deux, d’un côté le dehors, de l’autre l’intime. Le kitsch constitue selon moi une sorte de maison mobile, quatre murs d’affects, de souvenirs et de rêves.

Cette recherche sur le kitsch s’est faite d’allers et retours incessants entre analyses de discours théoriques et expériences empiriques. Je me suis constituée un corpus théorique au travers d’un choix d’auteurs : Milan Kundera[1], Hermann Broch[2], Clement Greenberg[3], Umberto Eco[4], Pierre Bourdieu[5], Jean-Yves Jouannais[6]. Le but n’était pas d’être exhaustif mais de percevoir et de confronter différents points de vue. Leurs textes m’ont servi d’outils d’analyse et m’ont fait découvrir la complexité du sujet : des questions liées à l’esthétique, à celle du jugement, à l’articulation entre art populaire –nains de jardin, canevas, décoration de noël – et art savant –Pierre et Gilles, Jeff Koons. En parallèle, j’ai développé un travail plus empirique par l’observation de figures du kitsch. J’ai tenté d’en décrypter les logiques et de mettre en place des clefs de lecture afin d’appréhender différentes formes et variations du phénomène kitsch. J’ai entre autres tenté de catégoriser les procédés kitsch.

Les champs disciplinaires se sont mélangés, confondus, mis en écho. Glaser a rencontré Flaubert ; Moreau a croisé Huysmans et Christian Lacroix ; Amélie Poulain a aperçu Marie Antoinette ; etc.

Ma plus grande difficulté a été d’apprendre à distancier les textes théoriques et à y percevoir les idéologies sous-jacentes. A la première lecture de Broch, Kundera, Greenberg, je me suis presque laissée prendre à ses jugements moraux. Dans ces allers et retours entre différents textes, auteurs, et notamment à la lecture de Jean-Yves Jouannais, j’ai commencé à relativiser et à comprendre ce qui se jouait derrière ces jugements moraux, politiques. Où était la distance, quelle place avait l’ironie dans tout cela ? En effet, le kitsch était avant tout pour moi un amusement, un jeu de styles, et non pas une guerre de doctrines. En comprenant cette ambivalence du kitsch, j’ai compris la complexité du sujet. Le kitsch ce n’est ni noir, ni blanc, mais arc-en ciel. Il ne s’intègre pas dans une doctrine. Ni les postmodernes, ni les néoclassiques, ni les romantiques n’en ont fait leur cheval de Troie. Plus décrié qu’aimé par les théoriciens, il revient sur le devant de la scène en modérateur, il s’immisce dans les failles d’un système pour concerner toute une époque.

Qu’en ai-je conclu ? Que le kitsch n’est ni propre à l’art populaire ni au « grand art ». Il peut être présent dans l’un comme dans l’autre. Le kitsch n’est ni « d’en haut » ni « d’en bas », ni de droite ni de gauche. Ce mélange de choses et de genres traverse donc toutes les classes sociales. Le kitsch est un jeu, un art simple, sans prétention sinon celle de cultiver son plaisir, quelque chose qui tient d’un art décoratif un peu délirant et surchargé d’émotion.

En même temps, le kitsch ne représente pas n’importe quel courant esthétique. Son pouvoir particulier tient dans ce rapport à la sensibilité populaire. Longtemps décriée, cette relation à ce corpus particulier lui donne aujourd’hui sa force. Le kitsch est plus qu’une esthétique. C’est un imaginaire, il joue sur un registre émotionnel que parfois nous nous refusons à révéler : fausses fleurs, nains de jardins, nostalgie puérile, sentimentalité, etc. Le kitsch n’est plus seulement du domaine de l’art populaire, il est présent en chacun de nous. Il est révélateur d’un besoin commun de rêve et de ré-enchantement du réel. Cet imaginaire joue un rôle protecteur. Il crée comme une seconde peau enfermant notre monde intime comme une coquille. Cette peau interroge tout particulièrement l’architecture avec la question du décor. Ce dernier, en soit superficiel, ornemental, trouve sa fonction dans cette création d’ambiance.

Porteur d’émotions, et donc changeant, versatile, ce décor se doit d’être adaptable, malléable, parfois éphémère. Cette notion de changement perturbe notre vision d’un objet fini, d’une architecture figée pour des siècles. Ce décor, cette ambiance fait tampon entre tout un chacun et le monde extérieur. Elle se veut pop, désuète, hype (branché), chaleureuse, etc. L’architecture devient avant tout un abri dont l’intérieur est interchangeable, réversible, tel un vêtement en fonction des modes et des humeurs. Chez certains architectes comme Venturi ou les membres du groupe radical Archizoom, cette question affleure. Plus récemment, cela a été toute la problématique d’un Glaser, artiste architecte, un amoureux du kitsch entre tous. Il restera pour moi l’emblème du kitsch et la rencontre avec son travail a marqué ma réflexion. A travers la figure de Gary Glaser, j’ai paradoxalement redécouvert Jean Nouvel. Architecte aux codes esthétiques affirmés – transparence, légèreté, etc. -, il manifeste une grande ouverture, et une grande perspicacité, en appelant Gary Glaser comme collaborateur, un homme d’un horizon différent. Alors qu’il semblait inscrit dans cette orthodoxie architecturale contemporaine, Jean Nouvel se joue de ses codes et de ses catégories morales comme sa longue collaboration avec Gary Glaser l’illustre bien.

Par son caractère transdisciplinaire, ce phénomène du kitsch m’a permis de comprendre un certain nombre de mécanismes du jugement artistique. Il m’a ouvert à d’autres perspectives sur la conception architecturale avec la rencontre du travail de Gary Glaser, différentes de ce que certains considèrent comme une orthodoxie moderne ou contemporaine.

En traitant du kitsch, je traite d’une question qui m’est très personnelle. Ce mémoire a été une manière de m’interroger, un travail sur moi-même. Le rapport très intime de Gary Glaser au kitsch, presque vitaliste qu’illustrent bien ses « Fancy-cushions », a fait écho au mien. J’avais toujours perçu le kitsch comme totalement dissocié de l’architecture, qui pour moi restait une affaire plus sérieuse. Glaser m’a fait comprendre que l’utilisation du langage kitsch en architecture était possible. Il pouvait être vecteur d’ambiance, un moyen d’intégrer de la couleur, une façon de regarder les matériaux.

Plus que le phénomène lui-même c’est cette liberté, cette audace alliée à une architecture qui va émouvoir son habitant, ce jeu entre ironie, émotion et connivence qui m’a touchée.

Cette relation au kitsch est apparue parfois dans mon travail de conception. Il a été sous-jacent. Ce travail et la méthode que j’ai mis en place m’en fait prendre conscience.


[1] Milan Kundera, L’Art du roman, Gallimard, Folio, 1986, p.16
[2] Gillo Dorfles, Le kitsch, un catalogue raisonné du mauvais goût, Complexe, 1968, article d’Hermann Broch
[3] Clement Greenberg, Art et Culture : essais critiques, « Avant-garde et Kitsch » trad. Ann Hindry, Macula, Paris, 1988
[4] Sous la direction d’Umberto Eco, L’Histoire de la laideur, Le kitsch (1932), traduction par Myriam Bouzaher, Flammarion, Paris, 2007.
[5] Pierre Bourdieu, La Distinction critique sociale Au jugement, Minuit, Paris, 1979
[6] Jean-Yves Jouannais, Des Nains, des jardins, essai sur le kitsch pavillonnaire, Hazan, 1993, Paris
.LE KITSCH ENTRE « MAUVAIS GOUT » ET SUBVERSION
Projet final d’étude C.Mourier
Mention recherche, Mention très bien avec félicitations du jury ENSAPL 2008

Président du jury : F.Cousinié / Jury : C.Younes P.Louguet D.Mons S.Bridoux / directeurs de recherche : E.doutriaux F.Vermandel